Le Collectif des Avocats des parties civiles « JUSTICE FOR BURUNDI » pour la justice au Burundi se dit « satisfait par l’interpellation de Général de Police Alain GUILLAUME BUNYONI ». Comment justifiez-vous cette satisfaction ?
Pour mémoire, monsieur BUNYONI a dirigé la police du Burundi au moment de la vague de répression des années 2015 – 2016. Nous avons reçu de nombreux témoignages évoquant son rôle durant cette période où des crimes contre l’humanité ont été commis au Burundi, en vue de réprimer dans le sang des manifestations pacifiques de la population civile burundaise. Notre collectif pense que tôt ou tard les acteurs de cette répression devront rendre des comptes. Même si ce monsieur bénéficie de la présomption d’innocence, nous estimons qu’un jour ou l’autre, il lui appartiendra de rendre des comptes pour les événements intervenus à l’époque. En matière de justice, il y a toujours à prendre en compte un rythme lent, mais ces crimes sont imprescriptibles. Notre collectif ne peut que se réjouir que cette personne ne soit plus dans la position d’invincibilité judiciaire dont elle prétendait bénéficier.
Sans entrer dans le jargon juridique, quelle Cour peut juger M. Bunyoni ? On n’entend plusieurs théories…
En l’état des informations dont nous disposons, les faits évoqués par le Procureur général du Burundi concernent les juridictions burundaises. Les crimes contre l’humanité dont nous parlons relèvent de la compétence de la Cour pénale internationale, mais théoriquement, les juridictions burundaises sont aussi compétentes puisque ces crimes sont visés également en droit burundais et que les crimes ont été commis au Burundi avec des citoyens burundais pour victimes.
Votre collectif dit que M. Bunyoni a été souvent cité dans les crimes commis au Burundi, est-ce que le Collectif a des charges documentées ? Quelques exemples ?
Notre collectif n’a pas copie du dossier du bureau du Procureur à ce stade. Mais nous avons activement collaboré en fournissant énormément de témoignages, de photos, de vidéos et autres pièces… Ces témoignages ont été fournis grâce au courage et au civisme de la population burundaise qui n’a jamais manqué à l’appel en vue de collaborer avec les autorités de poursuite à La Haye. Celles-ci ont aujourd’hui suffisamment de preuves précises et étayées pour lancer des poursuites. C’est le Bureau du Procureur à La Haye qui détermine à charge de qui les poursuites sont entamées et pour parler clair, nous espérons que Monsieur Bunyoni soit visé par les procédures. Monsieur Stef Vandeginste méconnait les règles de procédure de la Cour pénale internationale lorsqu’il affirme qu’aucun mandat d’arrêt n’a été émis. Il n’en sait rien, tout comme nous. La Cour n’est pas tenue de communiquer publiquement à cet égard. Un ou plusieurs mandats peuvent être lancés sans communication publique. Cette stratégie relève du pouvoir du Bureau du Procureur et de la décision de la chambre de la Cour saisie de la demande d’émission d’un mandat. C’est pour cette raison que notre collectif a demandé au Procureur général du Burundi de se rapprocher du Bureau du Procureur à La Haye.
Et quid des charges ?
Nous estimons disposer d’éléments, mais nous n’allons pas les dévoiler dans le cadre d’une interview et nous pensons qu’il y a lieu de respecter les règles de procédure existant à Bujumbura et à La Haye. En tous cas, nous serons les témoins vigilants des procédures en cours à Bujumbura et à La Haye et nous ne laisserons pas dévoyer le travail de Justice et de Vérité que nos mandants réclament depuis de nombreuses années.
Je vais me faire l’avocat de M. Bunyoni. Général de Police, haut responsable de la sécurité, l’accusé peut se retrancher derrière « l’intérêt supérieur de la Nation ». En mai 2015, le pouvoir venait d’échapper à un coup d’Etat ! S’il établit sa ligne de défense sur les questions de sécurité nationale, cela peut être compliqué pour votre collectif non ?
Chacun avance les moyens de défense qu’il souhaite et la Cour tranche. Pour notre part, nous estimons disposer d’arguments solides pour contrer cette thèse. Rappelez-vous simplement dans quelles circonstances la Cour suprême a été amenée à se prononcer concernant le droit ou non au troisième mandat de Monsieur Nkurunziza. Rappelez-vous la fuite du vice-président de la Cour dont le témoignage écrit est particulièrement instructif. A l’époque, l’opinion de Monsieur Vandeginste était aussi mitigée en cette matière… Depuis lors, une Cour de la Communauté de l’Afrique de l’Est de premier plan, a suivi notre argumentaire. Pour le collectif des parties civiles, ces opinions ne pèsent pas lourd face aux faits et nous n’avons aucune angoisse quant à la force probante de nos dossiers. La sécurité nationale est un piètre argument pour justifier des centaines de morts civils, victimes d’une répression brutale simplement parce qu’ils s’opposaient à une décision illégale des autorités.
Et si le Général de police dit qu’il obéissait aux ordres ? Il n’était pas chef de l’Etat en 2015. En d’autres mots, faire son procès, n’est-ce pas faire le procès de tout le système de pouvoir au Burundi ?
Dans tous les dossiers de crimes contre l’humanité, la question de la détermination de la chaîne de commandement et des responsabilités de chacun se pose. De même, ces dossiers posent la question des ordres de l’autorité supérieure. Pour être clair, aucun ordre de commettre un crime contre l’humanité n’est légal. Et ne vous en faites pas, le collectif va se battre pour faire reconnaître les crimes et les responsabilités personnelles.
Dans votre communiqué, vous laissez entendre que le Bureau du Procureur auprès de la Cour pénale internationale enquête depuis de nombreuses années sur les crimes commis durant la période 2015 – 2017. Est-ce vous laisser entendre qu’AGB pourrait se retrouver à la CPI ? Comment ?
Nous ne laissons pas entendre quoi que ce soit. Nous souhaitons ardemment que ce monsieur rende des comptes soit à La Haye, soit à Bujumbura. Tel est notre objectif. Si le dossier de la CPI valide nos hypothèses de travail et le résultat de nos recherches, nous ne voyons pas pourquoi Monsieur Bunyoni ne rendrait pas des comptes à la Justice et le temps joue désormais pour nous. Il bénéficie de la présomption d’innocence et de toutes les garanties procédurales lui revenant. Ceci précisé, nous attendons du bureau du Procureur à La Haye qu’il n’y ait pas de discrimination entre le dossier ukrainien et celui du Burundi, même si ce pays ne fait pas l’actualité médiatique dans le monde occidental. Et nous attendons des « experts » belges qu’ils cessent d’édulcorer les avancées d’enquête et de procédure. La lutte pour la Justice et la Vérité mérite des esprits bien trempés, indépendants, rigoureux et qui n’entrent pas dans des concessions intellectuelles ou politiques. Les concessions et édulcorations, ce n’est pas notre collectif. Ce ne peut être la position des autorités à la CPI et encore moins celle des tiers experts.
La CPI n’a pas bonne presse en Afrique. Certains estiment que c’est une justice qui poursuit les faibles, les personnalités africaines, ou de l’Europe de l’Est. Un mécanisme au service des puissants. Que répondez-vous à ces critiques ?
Les parties civiles ne se prononcent pas en matière de politique judiciaire. La Convention de Rome et la CPI sont des outils juridiques à notre disposition. Nous les utilisons si cela sert notre stratégie de défense des victimes.
Enfin, est-ce que vous ne craignez pas que votre décision de poursuivre M. Bunyoni, devant la CPI notamment, puisse susciter un réflexe solidaire de toute la chaîne de pouvoir au Burundi ? Certains peuvent se dire que si un Général de police est arrêté et poursuivi, la justice remontera nécessairement jusqu’à eux…
La Justice doit bien un jour ou l’autre advenir. Monsieur BUNYONI n’est pas seul responsable, mais tous les hommes politiques au pouvoir au Burundi n’ont pas commis les crimes sous enquête à la CPI. Nous ne faisons pas de la politique. C’est notre honneur de rester dans notre métier, soit les faits et leur qualification juridique. Nous ne ferons pas de politique et nous respectons toutes les forces politiques. La vraie solidarité c’est celle qui unit les victimes et les hommes et femmes de Justice qui vivent au Burundi. Nous sommes à leur service.
Source : https://www.iwacu-burundi.org/desormais-le-temps-joue-pour-nous/